Corinne Lepage, Dominique Voynet et Philippe Martin ont été ministres en charge de l’environnement dans les gouvernements Juppé, Jospin ou Ayrault. Ils racontent les difficultés à faire valoir une politique écologiste face aux impératifs de Bercy ou des Transports, mais aussi leurs arbitrages remportés. Tous plaident pour une transversalité de ces questions.
«Lorsque j’étais ministre, mes principaux problèmes n’étaient pas avec Bercy mais avec ce qu’on appelait à l’époque le ministère de l’Equipement, qui avait notamment en charge les transports et la construction ; il avait à sa tête Bernard Pons, qui était un homme avec beaucoup de qualités mais qui n’avait pas de fibre écologiste très poussée. Il était en opposition sur tous les sujets. Lorsque j’ai fait voter la loi sur l’air en décembre 1996, il m’a fait la guerre et a essayé de la vider de sa substance. J’ai eu aussi quelques soucis avec le ministère de l’Industrie. On était totalement en opposition sur le nucléaire et, dans ce dossier, la question des arbitrages était très délicate.
«A l’époque, tous les arbitrages étaient faits par le Premier ministre ; j’en perdais mais j’en gagnais aussi. Aujourd’hui, ils se font au sein même du ministère de la Transition écologique, qui possède une direction générale pour l’environnement, pour l’aviation civile, pour les routes… Pour moi, c’est un avantage que Matignon tranche. Ça nous a permis de gagner plusieurs dossiers : l’abandon des couloirs de lignes à très haute tension dans le Val Louron [dans les Hautes-Pyrénées, ndlr], l’abandon des OGM…
«Sous Emmanuel Macron, reste à savoir de quel Premier ministre il s’agira mais aussi la composition de son cabinet et son organisation. S’il ne s’agit que de technocrates, ça ne changera rien. Il faut savoir aussi ce qu’on veut mettre dans cette planification écologique. Selon moi, il faudrait que dans chaque ministère, il y ait un contrôleur de l’écologie sur le même modèle que le contrôleur de Bercy. Sans son aval, pas de dépenses. Cette personne serait directement déléguée par Matignon et sous le contrôle du Premier ministre ; elle vérifierait que les décisions prises soient cohérentes par rapport à la stratégie d’ensemble et que ça ne porte pas préjudice à l’écologie. Dès aujourd’hui, il faut mettre la priorité sur le pouvoir d’achat et la transition écologique, mais aussi sur l’énergie avec les énergies renouvelables, et particulièrement le solaire, pour lequel il faut supprimer toute une série de freins à sa rentabilité. Autre dossier urgent : l’agriculture. Il faut sortir de ce cercle vicieux des pesticides en modifiant les conditions de revenus des agriculteurs avec l’agrivoltaïsme et en favorisant le “carbon farming”, c’est-à-dire des pratiques visant à améliorer la capacité des sols à stocker le carbone.» (Aurore Coulaud)
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